Les Dossiers de Scotland Yard
- aronaar
- 20 mars 2016
- 5 min de lecture

« Une série dans la grande tradition de la littérature policière classique », nous informe la quatrième de couverture d’un des ouvrages.
Christian Jacq (célèbre pour ses romans historiques ayant pour cadre l’Egypte), sous son alias de Livingstone, nous livre en effet là pas moins de quarante-quatre volumes à forte teneur en classicisme.
Quarante-quatre, vous exclamez-vous, ne serait-ce alors pas présomptueux de ma part de les jauger tous en un seul article ?
Hé bien, pas réellement. Car si monsieur Jacq a pu en écrire autant en treize années (entre autres activités professionnelles et littéraires), c’est probablement car du premier au dernier volume, chaque histoire des Dossiers de Scotland Yard repose sur la même trame, quasiment immuable.
Après un court prologue mettant en scène le meurtre sans en révéler les détails, le lecteur sera transporté au cottage où Higgins, ex inspecteur du Yard et l’un de ses agents les plus compétents, espère couler une retraite anticipée, majoritairement dévolue au jardinage, la bonne gastronomie et la lecture des bons auteurs.
Vient alors un coup de fil ou une visite directe de son ami et ancien collègue Marlow, superintendant du Yard, se retrouvant dans une affaire tellement délicate qu’il vient quêter le soutien d’Higgins, lequel finit invariablement par céder lorsque Marlow lui révèle le scandale que pourrait provoquer une telle affaire si elle n’était pas résolue promptement et efficacement.
La majorité du temps, les remous pourraient en effet éclabousser directement ou indirectement la Couronne ou une institution notable de l’Angleterre !
Si cet argument ne convainc pas l’ancien officier, c’est ce que le crime le touchera sur une corde plus sensible, comme quelqu’un qu’il aura connu, ou touchant à un domaine lui étant cher et l’intriguant, comme ce professeur tué par quelqu’un déguisé en Ivanhoé.
La grande particularité des Dossiers de Scotland Yard tient en effet à ce que les meurtres prennent la plupart du temps place dans des contextes atypiques, souvent l’occasion d’entrer dans de petits mondes à l’intérieur du monde. Citons pour exemples l’univers fermé du druidisme, un endroit reculé où plusieurs personnes décident de se prendre pour les personnages de la légende d’Arthur, là un cercle de personnes obnubilées par tout ce qui touche aux Templiers, ici l’atmosphère hors du temps d’Oxford et de ses traditions…
Un dépaysement certain qui permet à la série de conserver une certaine fraîcheur !
Arrivés sur les lieux, Higgins et Marlow font (ou ont déjà) fait appel à Babcocks pour « faire parler le cadavre » afin d’obtenir des indices. La scène du crime est examinée, puis, sans forcément en donner les apparences, avec ou en l’absence de Marlow, Higgins commence son enquête. L’air bonhomme, gentleman et accommodant, l’ancien inspecteur dégage une telle aura de sympathie que la plupart des témoins et personnes sources d’informations se détendent en sa présence.
Et si les langues sont réticentes à se délier, l’érudition apparemment sans limites d’Higgins (qui connaît toujours quelque chose par rapport au petit monde impacté par le meurtre) saura impressionner et lui ouvrir des portes, comme à un autre initié dans le domaine.
Il y aura toujours au moins une personne dans le lot n’appréciant particulièrement pas la police, mais globalement le magnétisme du retraité moustachu est diablement efficace. Notez que des schémas de personnage se répètent régulièrement d’une histoire à l’autre : la femme splendide et séductrice en sachant plus qu’elle ne veut bien l’admettre de prime abord, l’homme physiquement impressionnant à la philosophie de vie simpliste, l’adepte inconditionnel des traditions regrettant la décadence de l’Angleterre, le « fanatique » ne vivant que pour sa discipline/passion et ne voyant le monde qu’à travers son prisme…
Higgins va donc d’une personne à autre, notant tous les détails importants sur un de ses fidèles carnets noirs, rencontrant toujours quelqu’un pour pointer du doigt immédiatement quelqu’un qu’il désigne comme coupable le plus évident, et/ou quelqu’un souhaitant que Scotland Yard s’en aille au plus vite.
Des accusations s’entrecroisent, des mensonges sont proférés, la plupart du temps, plusieurs personnes liées à l’affaire possèdent des liens secrets révélés au cours de l’enquête. Si Higgins piétine à un moment, la solution est toute trouvée : il fera appel à son cercle d’ami très restreint pour obtenir des informations capitales, comme ce qui a trait à la situation financière de personnes l’intéressant. Sa bonne réputation et ses connexions (couplées à ses dons en persuasion) lui permettront également d’avoir accès à des données autrement confidentielles.
Grâce à celles-ci et aux précédents témoignages, Higgins reviendra vers les différents personnages liés au drame, armé de nouvelles questions. Petit à petit de nouvelles vérités se font jour, sans que jamais l’ex-inspecteur ne partage ses convictions intimes avant la résolution de l’ensemble de l’affaire.
Bien évidemment, des désagréments interviendront au cours de l’enquête : lettres de menace, tentatives d’intimidation, dissimulation d’indices, pressions pour présenter de faux témoignages, voir même un autre meurtre !
Mais malgré toutes les difficultés, toutes les complications et le possible désespoir de Marlow, Higgins n’abandonne jamais.
Intervient alors la dernière phase, invariable : la scène de reconstitution. Toutes les personnes liées à l’affaire sont convoquées dans un même lieu, l’assassin forcément parmi elles. Battant le chaud et le froid, Higgins passera d’une personne à l’autre, les mettant droit devant certaines vérités, provoquant des réactions tumultueuses et de l’indignation.
Après plusieurs tours de ce ping-pong verbal brassant toute l’assemblée, défaisant l’écheveau du crime et explicitant le fil de son enquête, Higgins finira par acculer le coupable et le faire arrêter.
Fondu au blanc, épilogue contenant souvent une marque de générosité vis-à-vis d’une personne lui ayant été utile pendant l’enquête, et l’ex inspecteur peut retourner à sa retraite plongée dans la nature. Le scandale est évité, une nouvelle victoire pour Scotland Yard !
Il y a d’autres invariants plus mineurs (comme la sempiternelle citation de vers d’une poétesse fictive au nom imprononçable ou le fait qu’Higgins soit le « seul sujet britannique à détester la boisson nationale », entra autres) mais vous avez là la substance d’une histoire de cette série.
Rajoutez un certain goût pour le mysticisme, plusieurs affaires ayant trait au surnaturel, comme Les disparus du Loch Ness, lorsqu’un phénomène effectivement surnaturel n’est pas carrément avéré (comme le fantôme dans Le secret des Mac Gordon).
Une des croyances d’Higgins est d’ailleurs qu’une victime d’assassinat ne peut trouver le repos tant que son meurtrier n’est pas arrêté. On appréciera ou non, à titre personnel, après avoir lu tant d’histoires dépeignant les crédibles vicissitudes de l’âme humaine, en lire une où au final le véritable coupable est une maison hantée est assez décevant, heureusement, cela demeure l’exception.
Il faut simplement retenir que légendes, folklores et phénomènes au-delà de l’ordinaire sont présents dans les récits avec un poids variable mais certain.
Faudrait-il alors accuser de paresse Jacq de nous resservir toujours la même trame ? Sans qu’elle facilite les efforts du lecteur pour deviner qui est le coupable, il est vrai que les surprises sont moins au rendez-vous.
Cela ne veut pas dire que l’auteur n’est pas inventif avec les situations et cadres proposés, simplement, on peut avoir parfois l’impression de tourner en rond en retrouvant le même déroulé, les mêmes adjuvants, les mêmes grands types de personnages liés à l’affaire et cette myriade d’invariants.
Au final ce peut être autant un défaut qu’un atout, car si l’on apprécie un volume de la série, avec toutes ces similitudes, l’on est pratiquement garanti d’apprécier la majorité des autres !
Ce que je reprocherai peut-être le plus concernait in fine Higgins lui-même.
Je n’ai pas lu l’intégralité des 44 volumes, mais pas une seule fois il n’échoue. Là où même Holmes, présenté comme un génie dans sa branche, connaît plusieurs déconvenues, Higgins n’est-il pas un brin trop parfait comme enquêteur, avec toutes ses qualités ?
Quoi qu’il en soit, les Dossiers de Scotland Yard ont l’avantage d’avoir un volume de page adéquat pour que le rythme ne soit pas dilué, bénéficiant en outre d’un style sobre : les descriptions ne sont pas allongées, pas invasives, faisant la part belle aux dialogues.
Ces derniers s’encombrent extrêmement peu d’indices dialogiques (ton de la voix, mouvement, expression du visage…) ce qui induit une grande fluidité, mais une certaine aridité narrative à ce niveau-là.
Les récits en sont rapides et faciles à lire, si vous êtes amateur de littérature policière qui ne fasse ni dans le sensationnel, ni dans le vrai morbide, essayez un volume au hasard.
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