Dracula l'Immortel- suite en besoin de transfusion
- aronaar
- 12 sept. 2016
- 5 min de lecture

Bram Stoker est l’un de ces auteurs ayant assuré sa postérité en créant un personnage devenu une véritable icône culturelle- même sans connaître l’œuvre, qui s’intéresse un petit brin aux vampires a probablement en tête le nom de Dracula.
Non seulement le personnage du Comte en lui-même, mais bien évidemment la popularisation des vampires dans la culture ! Plus d’un siècle après l’œuvre originale, à une époque où les zombis volent la vedette aux suceurs de sang, n’est-il pas assez intriguant de voir débarquer la seule « suite officielle » d’un livre aussi prestigieux ?
Écrit par un arrière petit-neveu et un expert en vampirisme, rien de moins.
Avant de planter nos canines dans le vif du sujet (et comprendre qu’il vaut mieux s’abstenir de s’abreuver à sa gorge), un brin de mise en contexte s’impose donc.
Dans la famille Stoker, selon l’un des coauteurs, Dacre, existe une certaine déception par rapport à tout ce qui a été produit autour du personnage de Dracula, sans que les Stoker aient eu beaucoup de contrôle là-dessus, ou sans beaucoup de royalties non plus. Tout de même, c’est leur ancêtre qui est la source de tout cet héritage vampirique ! Ne devraient-ils pas avoir un droit de regard sur ce qu’on en fait ?
Pourquoi alors ne pas rafraîchir le blason en réinjectant un Stoker dans le processus créatif ? En se basant sur les notes originales de feu Bram ?
Holt et Stoker insistent donc sur l’ambiguïté de la fin de Dracula (le vampire n’est pas expressément détruit), y voyant là toute matière à créer une suite- leur suite, il faut bien le souligner, en reprenant le titre original que souhaitait Bram pour son ouvrage, the Un-Dead, ici traduit en Immortel.
Sur ces simples prémisses – la survie du Comte – pourquoi pas. Le retour du fléau que l’on croyait banni est un classique dans le genre, mais pas intrinsèquement préjudiciable si l’on sait s’y prendre, tant que cela donne lieu à une trame plaisante à suivre.
La spécificité avec Dracula l’Immortel, c’est que les auteurs choisissent de faire des « concessions » par rapport à l’œuvre originale, finalement si importantes que leur suite en devient une espèce de réécriture, dont la parenté avec Dracula semble fort distante…
Certains crieront même à la déformation criminelle, ce qui est certain, c’est que les puristes n’y trouveront pas leur compte. Passe encore si Holt et Stoker veulent modifier plusieurs éléments afin de laisser libre cours à leur créativité…
Encore faudrait-il que celle-ci nous livre une intrigue intéressante !
L’un des problèmes de fond est que ces concessions jettent aux orties des éléments antérieurs très importants. Le Comte, créature des ténèbres égoïstes et sanguinaire, manipulatrice, devient un damné solitaire toujours soldat de Dieu, pétri de bienveillance, injustement calomnié par…
Bram Stoker en personne, qui est inclus dans le récit, son descendant y tenait beaucoup pour qu’il soit sur les feux de la rampe. On saisit l’intention, toutefois l’application est assez désastreuse puisque Bram passe pour un personnage antipathique endossant un mauvais rôle !
Son Dracula n’est plus alors qu’un tissu de mensonges, de vilenies et d’incohérences, ce qui donne carte blanche aux auteurs pour inventer ce qui leur plaît.
Comme une liaison entre Dracula et Mina Harker, auquel le livre ne cesse de faire allusion.
Dénigrer fictivement son aïeul dans un roman supposé lui redonner du prestige est une méthode ne laissant pas de m’étonner.
Mais revenons plus précisément au propos de Dracula l’Immortel. Il semble s’agir d’une nouvelle chasse au vampire, puisque Dracula, comme le titre l’indique, n’a pas tiré sa révérence.
On retrouve les survivants radicalement transformés : Seward morphinomane, Holmwood reclus plongé dans les affres du passé, Jonathan se réfugiant dans l’alcool à cause de son mariage fragile avec Mina, elle-même avec du sang vampirique lui conférant une jeunesse prolongée, Von Helsing en vieillard aigri encore obnubilé par le monstre aux dents longues.
Le souci est que seule Mina accomplira quelque chose qui finira par avoir un impact ! Brisée l’alliance antérieure, brisée la dynamique et l’utilité narrative des personnages.
Le livre fait la part belle à Harker Junior, Quincey, pourtant pas assez charismatique pour recevoir autant d’attention.
Les autres sont là pour nous assurer que nous sommes bien dans une suite, avant d’être balayés magistralement- manœuvre douteuse.
Vers qui donc se tourner pour faire avancer les choses ? Báthory, voilà qui. Autre figure maintenant intégrée au folklore vampirique fictif, la comtesse joue le rôle de véritable antagoniste, et représente, sans subtilité aucune, le contrepied maléfique nécessaire pour que Dracula ait plus de crédibilité en tant que personnage « bon ».
Ainsi Báthory se révèle être une vampire lesbienne cruelle, tuant pour le plaisir, méprisant l’humanité et particulièrement sanguinaire : la cible parfaite. Cerise sur le gâteau, elle dit clairement vouloir s’opposer aux enfants de Dieu.
Les auteurs jouent donc sur le flou quant aux meurtres qui font redouter aux protagonistes le retour d’un vampire, flou solidifié par l’aspect policier incarné par Cotney, inspecteur ayant autrefois enquêté sur les crimes de Jack l’Eventreur.
Car dans le chapitre des concessions, nous avons également des changements de date afin de rendre possible le fait que Dracula ait été l’auteur de ces boucheries.
Avec l’apparition d’autres personnages ayant réellement existé, on pourrait saluer cet ancrage historique- s’il ne se révélait pas anecdotique en dernières instance, et que cet aspect policier est ruiné par deux faits simples : la culpabilité de Báthory est clairement énoncée, et l’identité de Dracula est claire comme de l’eau de roche.
Tout suspens ou révélation est donc absent pour le lecteur ! C’est si mal fichu que je me permets même de révéler que ce Cotney ne survivra pas au livre, ce qui rend sa présence encore moins importante.
Par ailleurs, sachez que Holt et Stoker semblent particulièrement friands des cliffhangers à répétition.
C’est une formule qui marche très bien en fin d’épisode dans les séries télévisées, beaucoup moins utilisées à outrance comme c’est le cas ici, avec un temps de latence court avant que le faux suspens ne soit résolu. Formule qui fonctionne également mal avec l’imitation du style de feu Bram Stoker, donnant régulièrement un sentiment de lourdeur.
Le changement de mode narratif est tout à fait compréhensible, mais quitte à se détacher autant de Dracula avec leur propre interprétation, un autre style n’aurait pas fait de mal !
Nous ne somme point dans un échange épistolaire, et l’ambiance gothique s’efface au profit d’une action un peu trop, ironiquement, sanglante.
Tandis que l’ancienne équipe essaye de se rabibocher, le tout se résume en fait à une marche laborieuse et languissante vers la confrontation finale entre Báthory et Dracula, entrecoupée de petits passages dans le passé pour ancrer la réécriture des coauteurs (tel celui où Mina se remémore sa romance avec le Comte).
Avec des personnages qu’on ne reconnaît plus (ou que l’on ne connaît pas ainsi, pour reprendre la logique de Stoker arrière junior), une traque qui traîne en longueur, une sous-intrigue policière déplacée, un Dracula métamorphosé en guerrier saint et des pseudo-mystères, bien difficile d’y voir là la suite de Dracula !
Pour vouloir se réapproprier l’œuvre, encore ne faut-il pas la fouler du pied de façon aussi massive.
Et c’est là le problème principal. Si le propos avait été dans la continuité, le changement de rythme aurait collé. Malheureusement, on croule déjà sous les réécritures, les pastiches, les interprétations alternatives du personnage célèbre de Bram Stoker, et cette histoire de suite officielle semble être un attrape-lecteur plutôt qu’une véritable valeur ajoutée.
Il est bon de vouloir rendre hommage à son ancêtre, encore faut-il en avoir le talent et user d’une méthode adéquate.
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